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Regarder le sport en direct, une passion coûteuse

Avec la multiplication des plateformes numériques et des diffuseurs exclusifs, suivre le sport en direct se complique.

Des joueurs s'entraînent avant un match avec, en avant-plan, une caméra.

Une période d'échauffement de la LNH se déroule sous la lentille d'une caméra de télévision.

Photo : The Canadian Press / Nathan Denette

Un amateur de sport québécois sans abonnement au câble qui veut suivre les matchs des trois équipes locales doit être abonné à trois plateformes et débourser 510 $ plus taxes pour ne rien manquer de l’action.

Ajoutez les autres compétitions propices d’intéresser un sportif de salon dévoué et la facture peut grimper jusqu’à 1800 $, une tendance à la hausse devenue la normalité.

Les partisans du Canadien de Montréal doivent s’abonner à deux services pour avoir accès aux 82 matchs du calendrier : TVA Sports Direct pour 22 matchs nationaux et les séries éliminatoires, et RDS en direct qui diffuse 60 rencontres. Coût annuel : 179,99 $ pour TVA Sports Direct et 199,99 $ pour RDS en webdiffusion, qui présente aussi les Alouettes de Montréal, dans la LCF.

Pour regarder les 34 matchs de saison du CF Montréal, il faut toutefois s’abonner à la MLS Season Pass d’Apple TV, à 129,99 $ par année.

C'est donc 510 $ plus taxes qu'il faut débourser pour suivre les activités des trois équipes locales, ce qui représente près de 600 $ (586,37 $) par année, soit le tiers de ce qu'il en coûtera à un véritable passionné.

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Plusieurs personnes de dos, les mains en l'air, célèbrent un jeu de football à la télévision.

Si vous aimez la MLS, les chances sont élevées que le soccer européen vous interpelle aussi. La Premier League anglaise se retrouve sur la plateforme Fubo TV au coût de 219,99 $. La Ligue des champions se regarde sur DAZN; un autre 199,99 $ s’ajoute. Quant aux matchs des équipes nationales masculine et féminine canadiennes, ils sont diffusés sur OneSoccer en échange de 129,99 $ par année.

DAZN donne aussi accès aux matchs de la NFL, tandis que l’abonnement à RDS en webdiffusion offre de plus les Grands Prix de formule 1.

Des joueurs s'entraînent avant un match avec, en avant-plan, une caméra.

Une période d'échauffement de la LNH se déroule sous la lentille d'une caméra de télévision.

Photo : The Canadian Press / Nathan Denette

Vous aimez le tennis? Il vous faut RDS en webdiffusion pour regarder les tournois du grand chelem et du circuit de l’ATP, mais TVA Sports pour l’Omnium Banque Nationale, la Coupe Davis et les tournois du circuit de la WTA.

La MLB (et ses Blue Jays de Toronto) est offerte sur Sportsnet+ au coût annuel de 179,99 $; la NBA et ses Raptors de Toronto requièrent aussi un abonnement à TSN+ (80 $ par an), le service présentant 41 matchs, Sportsnet+ offrant les 41 autres. Amateurs de golf : TSN+ vous donne accès au circuit de la PGA.

Un Tour de France avec ça? L’événement phare du cyclisme est disponible sur FloBikes et se paye 150 $ américains (206 $CA) par année, ce qui permet aussi de voir la Vuelta ou Paris-Roubaix… mais les courses italiennes sont diffusées sur Global Cycling Network moyennant 59,99 $ par année.

Total : 1586 $ plus taxes, soit 1823,50 $.

En voyant ces chiffres, pas étonnant d’apprendre que les Canadiens dépensent plus que jamais pour les plateformes de diffusion en continu, selon les résultats d’un sondage commandé par Rogers Sports & Media en juin.

L'image d'une joueuse de tennis, assise pendant une pause, apparaît dans une lentille de caméra.

La joueuse de tennis Katie Boulter vue à travers la lentille d'une caméra.

Photo : getty images for lta / Naomi Baker

Au pays, rares sont ceux qui n’ont pas recours à la diffusion en direct : 92 % des Canadiens entre 18 et 34 ans sont abonnés à une moyenne de 1,8 service de vidéo sur demande. Au total, 5,3 milliards $ ont été dépensés au Canada cette année pour des abonnements à des services de diffusion en direct en tous genres, une hausse par rapport aux 3,4 milliards $ déboursés en 2022.

Cette inflation de 55,8 % s’explique en partie par le coût grandissant des plateformes numériques dédiées au sport.

D’une course aux abonnés à un sprint aux profits

Ce phénomène de prix à la hausse est un ressac de la course à la diffusion en direct dont les années 2010 ont été le théâtre, illustre Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa et spécialiste en marketing sportif.

Dans les premières années du streaming, on croyait que l'important pour les plateformes n’était pas les profits, mais l'acquisition d’abonnés, explique-t-il. Aujourd’hui, la perspective a changé. Ce n’est pas tout d’avoir un nombre élevé d’abonnés, encore faut-il être rentable.

Pour renflouer les coffres, les services numériques cherchent à isoler le consommateur avec une offre spécialisée, histoire de soutirer la pleine mesure de son portefeuille, explique Philip Merrigan, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM.

Les plateformes numériques vont chercher le surplus du consommateur, qui est l’écart entre le prix à payer pour un produit ou service et le prix maximum qu’un consommateur est prêt à payer pour cette acquisition, détaille-t-il.

En ciblant les préférences des consommateurs, on devient capable de leur faire débourser le maximum de ce qu’ils sont prêts à payer.

Une citation de Philip Merrigan, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM

En somme, le privilège de choisir ce que l’on regarde vient avec un coût. Ces nouvelles technologies ramènent la fameuse équation entre le prix et la demande.

À long terme, restera-t-il de la concurrence ou assistera-t-on à un monopole? Jusqu'à maintenant, j’ai l’impression que la concurrence demeure, ce qui est nettement une bonne chose pour les consommateurs, estime Philippe Merrigan, qui craint une consolidation des plateformes de diffusion en direct par un nombre restreint de géants numériques.

Y a-t-il des limites à ce que les amateurs de sport sont prêts à payer, au nombre de plateformes auxquelles s’abonner? C’est la question que tout le monde se pose, admet Luc Dupont. On sent qu’il y a un resserrement de l’industrie, tellement important que Disney [géant américain du contenu en ligne, NDLR] se dirige vers des pertes de 500 millions $ pour le seul dernier trimestre.

La réalité, c'est que la quasi-totalité des plateformes de streaming perdent de l’argent. C’est à la mode de parler de la crise des médias, du déclin des médias traditionnels, mais les plateformes de streaming ont aussi des défis.

Une citation de Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa et spécialiste en marketing sportif

Ces pertes massives s’expliquent par les montants investis pour développer ces plateformes numériques et acquérir des droits de retransmission d’événements sportifs, dont la valeur explose. De grands groupes médiatiques, qui jouent leur survie, prennent ce pari parce que l'avenir est en ligne : en 2024, aux États-Unis, plus d’argent sera dépensé pour des services numériques (76,3 milliards $) que pour des abonnements à la télévision traditionnelle (74,4 milliards $), prédit la firme Strategy Analytics.

Et la transition s’accélère : pour la première fois, en juillet, la télévision traditionnelle représentait moins de 50 % de la consommation vidéo aux États-Unis, selon Nielsen, et les abonnements au câble ont chuté de 18 % depuis 2019.

Même que 44 % des foyers encore abonnés seraient prêts à annuler leur service de télévision s’ils pouvaient regarder le sport en diffusion en direct. Tout ça alors que 57 % des Américains regardent du sport au moins une fois par semaine.

Pour les groupes médiatiques, c’est comme un party : il est 2 h 15 du matin, et ça ferme à 3 h. Il ne faut pas être le dernier à quitter pour avoir un taxi, selon l'analogie de Luc Dupont.

Plus cher, plus compliqué

Avec l’explosion des coûts viennent aussi de nouveaux maux de tête pour les consommateurs. Outre la petite fortune à payer pour ne rien manquer du sport en direct, il faut s’y retrouver dans l’éventail de plateformes qui tentent de tirer leur épingle du jeu. Il est complexe de savoir quel match aura lieu quel soir, et sur quelle plateforme.

Le problème qui en découle, c’est le talon d’Achille des plateformes de streaming : la capacité à faire parler de soi localement, observe Luc Dupont.

Prenant l’exemple d’Apple, qui a acquis les droits de la MLS à l’échelle planétaire pour les 10 prochaines années moyennant 2,5 milliards $, il note le défi qui se dresse devant le CF Montréal afin de générer de l'intérêt au Québec, et pour l’amateur qui souhaite se reconnaître dans la couverture qu’on lui propose de son équipe favorite.

Une plateforme qui vise un marché national doit aussi réussir à générer une effervescence au niveau local. Chaque soir, c’est un nouveau match, un nouveau contenu qui se vit en direct. Mais l’excitation pour les matchs d’une équipe est historiquement créée par un réseau. Les rivalités de demain, c’est quelque chose à réinventer avec le streaming.

Une citation de Luc Dupont, professeur au Département de communication de l'Université d'Ottawa et spécialiste en marketing sportif

En contrepartie, avec Apple, l’arrivée de Lionel Messi devient un événement mondial. Une centaine de pays peuvent regarder ses matchs avec Miami. Ça transforme le sport professionnel. Je suis certain que toutes les autres ligues regardent la MLS en se disant : "Ça, c’est le futur."

Après avoir chamboulé l’industrie musicale avec iTunes en 2003, Apple aurait-elle fait de même avec le sport, 20 ans plus tard? La vente des droits de la NBA, qui expirent à la fin de la saison 2024-2025, pourrait confirmer cette tendance à la mondialisation. Bloomberg prédit à la NBA un contrat d'une valeur minimale de 5 milliards $ par année, dans une surenchère menée par les géants numériques.

Le logo apparaît sur la manche du chandail, qui a été déposé sur le gazon artificiel d'un terrain.

Le logo d'Apple TV sur le chandail d'une équipe de la MLS.

Photo : usa today sports via reuters con / Aaron Doster

Dans ce nouveau contexte où les plateformes numériques desservent un marché qui dépasse celui d’une équipe locale, le client peut-il encore avoir raison? Tout indique que non, conclut Philip Merrigan.

Le consommateur est individuel, et c’est très difficile d’avoir un impact sur une tendance lourde. Apple, Amazon, Google, Bell, Rogers : ce sont des joueurs avec des modèles qui traversent plusieurs aspects de la vie quotidienne, de la mobilité au divertissement, au magasinage, etc.

Est-ce qu’on assistera à une révolte comme consommateurs face à la cupidité moderne?, se demande-t-il. Peut-être, mais individuellement, c’est très difficile de se faire entendre. Et comme l’audience devient planétaire, notre voix se perd encore plus.

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