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30 ans plus tard, quelle justice pour les victimes du génocide au Rwanda?

Une photo prise le 29 avril 2018 montre un visiteur regardant des portraits de victimes au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda.

Au Mémorial du génocide de Kigali, des photos des victimes sont exposées sur les murs. (Photo d'archives)

Photo : AFP/Getty Images / YASUYOSHI CHIBA

Il y a 30 ans, le 7 avril 1994, commençait le génocide au Rwanda. En trois mois, les extrémistes hutus ont assassiné près d’un million de personnes. Trois décennies plus tard, où en est la justice?

Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, et Geneviève Parent, professeure agrégée à l'École d'études de conflits de l'Université Saint-Paul, à Ottawa, ont répondu à nos questions.

1. Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui, 30 ans plus tard, que justice a été rendue?

Marie Lamensch : Il faudrait poser la question aux victimes.

En ce qui concerne les tribunaux, il y a eu le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), où l’on a mis au banc des accusés les principaux responsables du génocide, certains dirigeants de l’armée, des milices hutues Interahamwe, des politiciens et des membres de la radio des Mille Collines [qui incitait ouvertement au génocide]. Mais il y a des gens qui ont réussi à fuir à l'étranger, dont certains qui ont trouvé refuge en France. C’est un très long processus.

Ensuite, il y a eu ce qu'on appelle au Rwanda les gacaca. C'est une forme de justice locale assez ancienne, qui était utilisée bien avant le génocide pour régler les conflits au sujet des terres ou d'animaux, par exemple. Ce système a été utilisé après le génocide afin d'avoir accès à la vérité, mais aussi pour faire en sorte que les gens ayant commis des crimes, mais qui n'étaient pas des généraux ou des personnes haut placées dans l’appareil politique, ait à faire face à une forme de justice.

Des gens armés de pelles regardent vers une fosse commune.

On continue à découvrir des restes des victimes du génocide, comme ici, sous les fondations d'une maison à Ngoma, au Rwanda, où plus de 82 corps ont été trouvés en janvier 2024.

Photo : Getty Images / GUILLEM SARTORIO

Dans ces tribunaux, tout le monde se place en cercle autour de l’accusé et de la victime, ou la famille de la victime. L’accusé doit s'excuser et parler du crime qu'il a commis.

C'est une forme de justice locale qui a assez bien fonctionné, même s’il y a eu quelques critiques, notamment quant à savoir si les gens disaient la vérité ou s’ils étaient sous pression.

De 2005 à 2012, près de deux millions de procès ont été organisés par les tribunaux gacaca.

Une des choses les plus horribles dans le génocide rwandais, c'est que des gens comme vous et moi s’armaient de machettes pour tuer leurs voisins. Une grande partie de la population a participé. Il aurait été difficile de mettre tous ces gens en prison.

Une citation de Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Le processus des gacaca a aidé à mettre en lumière des choses qu'on ne savait pas sur la manière dont les crimes étaient commis et a permis d’avancer sur le chemin de la réconciliation.

Geneviève Parent : Les questions de justice et de réconciliation sont complexes dans un contexte de génocide intime, c’est-à-dire lorsque les responsables sont des membres de notre famille, nos voisins, nos collègues de travail, etc.

Un aspect positif des gacaca, c’est qu’un certain nombre de survivants ont pu en savoir plus sur les circonstances entourant le massacre de leurs proches, ce qui peut aider à la guérison.

Par contre, les survivants qui ont dû témoigner n’étaient pas protégés et certains d’entre eux ont été intimidés, agressés physiquement et même tués avant ou après leur participation aux tribunaux gacaca. On rapporte aussi des cas d'individus harcelés par des familles dont ils ont tué les proches. De nombreux Tutsis ont donc eu peur de participer et de témoigner.

Deux hommes et une femme âgés.

Ces Rwandais de la ville de Byumba ont pris part au processus de réconciliation.

Photo : Getty Images / JACQUES NKINZINGABO

Les Hutus ont également eu peur des tribunaux gacaca, car ils craignaient d'être accusés à tort. Il reste aussi un sentiment d’impunité chez les survivants, à cause notamment de sentences légères et d'une libération hâtive des responsables.

Un autre aspect moins positif, c’est la politique du pardon. Le pardon, lorsqu’on insiste auprès de survivants qui ne sont pas prêts, peut même représenter une victimisation secondaire.

Il peut y avoir plusieurs raisons de pardonner, mais le pardon appartient à celui qui a souffert et ne doit pas lui être imposé.

Une citation de Geneviève Parent, professeure agrégée à l'École d'études de conflits de l'Université Saint-Paul

En outre, la question des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis par le Front patriotique rwandais (RPF) [le parti du président rwandais, Paul Kagame] n’a jamais été abordée. Il y a une version officielle et celle-ci est exclusive. La critique envers le RPF n’est pas tolérée.

2. Qu'en est-il de la réconciliation et de la réparation?

Marie Lamensch : Au Rwanda, il y a énormément de traces du génocide. Il y a des pancartes un peu partout, il y a des musées à ciel ouvert. Il faut à la fois commémorer le génocide et essayer d'aller de l'avant. Ce n'est pas toujours facile.

Dans le très long terme, on peut y arriver. Trente ans, c'est encore trop court.

Une citation de Marie Lamensch, coordinatrice de projets à l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Les plus jeunes générations sont éduquées en anglais et non en français, et on leur apprend une histoire très précise sur qui a commis le génocide et sur comment ça s'est passé. Il y a un discours imposé par l'État sur comment ça s'est déroulé, pour essayer d'aller de l'avant et d'amener les jeunes à ne plus faire la différence entre les Tutsis et les Hutus, pour que ce soit juste des Rwandais.

Deux femmes assises sur un banc regardent le monument.

Le monument de la Flamme du Souvenir, au Centre commémoratif du génocide de Nyanza, à Kigali.

Photo : Getty Images / GUILLEM SARTORIO

Geneviève Parent : Les initiatives de réparation ont été superficielles et n’ont pas fonctionné. Les demandes des survivants n’ont pas été réglées.

Il aurait fallu mettre un plus grand accent sur la justice réparatrice, qui est mieux adaptée aux besoins des victimes. Or, dans le cas rwandais, elles ont été écartées.

Le processus de réparation permet à la victime de raconter son expérience et d'alléger ses souffrances. En plus, il facilite la compréhension de ce qui s'est passé du côté de l'auteur de l'acte violent. Celui-ci cherche à restaurer son humanité et sa relation avec la victime. Cela importe lorsqu’on doit continuer à vivre ensemble!

Concernant la réconciliation, malgré le fameux Nous sommes tous Rwandais, la justice (y compris les gacaca, qui ont été utilisés de manière antagoniste) a renforcé la division entre les Hutus (tous considérés comme génocidaires) et les Tutsis.

3. Où en est la société rwandaise aujourd'hui par rapport au génocide?

Marie Lamensch : Le Rwanda est une dictature et un des pays qui commettent le plus de répression transnationale, c'est-à-dire le fait de poursuivre les ennemis présumés de l'État à l'étranger.

Il y a aussi une loi contre le génocide dont le gouvernement abuse parfois pour mettre des gens en prison.

Ce système autoritaire représente des embûches pour la réconciliation. Il faudrait laisser les gens parler de ce qui s'est passé. Or, il y a une mainmise du gouvernement sur certains discours, beaucoup de silences et de non-dits.

Paul Kagame

Le président du Rwanda, Paul Kagame, lors de la cérémonie d'ouverture de la 37e session de l'Assemblée de l'Union africaine (UA) à Addis-Abeba, le 17 février 2024.

Photo : Getty Images / AMANUEL SILESHI

Geneviève Parent : La paix reste fragile. Les plus jeunes pourraient avoir mieux adhéré au Je suis Rwandais que leurs parents, mais la résurgence des tensions ethniques est possible.

Par ailleurs, les activités de la milice des Forces démocratiques de libération du Rwanda, basée en République démocratique du Congo (RDC) et dont font partie des individus qui auraient participé au génocide, sont inquiétantes.

Un autre élément à considérer est le langage utilisé par les fonctionnaires du gouvernement de la RDC à l’endroit de la population banyamulenge (un groupe originaire du Rwanda qui vit en RDC depuis des générations). Au cours des dernières années, la violence contre ce groupe par l’armée de la RDC et des Forces démocratiques de libération du Rwanda a beaucoup augmenté. Est-ce que le scénario des années 1990 pourrait se reproduire?

Les propos ont été édités par souci de clarté et de concision.

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