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Une dette de 21 000 $ pour accoucher sans assurance maladie au Québec

Québec n’a toujours pas tranché sur la possibilité d'offrir des accouchements gratuits à des centaines de migrantes sans assurance chaque année. La Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) avait proposé diverses options à cet effet en 2022. Une facture qui pourrait dépasser les 20 millions de dollars.

Une femme assise dans un bureau.

Arrivée du Cameroun en 2023, Augustine Messa Taga devra s'endetter lorsqu'elle accouchera dans quelques mois.

Photo : Radio-Canada / Davide Gentile

Lorsqu’elle a accouché dans un hôpital de Montréal en 2022, Fatoumata (prénom fictif) s’est organisée pour limiter la facture.

Sans assurance ni carte d’assurance maladie du Québec, elle voulait éviter des frais d’environ 5000 $ par nuit d’hospitalisation.

Je suis donc restée [jour et nuit] à la pouponnière sur une chaise, raconte cette mère dans la trentaine. Un lit lui sera finalement aménagé près du bébé.

Quelques mois plus tôt, cette résidente permanente avait pris contact avec l’hôpital.

Le journaliste Davide Gentile écoute le témoignage d'une migrante.

Fatoumata (prénom fictif) explique avoir pris des arrangements financiers avec un hôpital de Montréal afin de rembourser les frais pour l’accouchement de son cinquième enfant en 2022.

Photo : Radio-Canada

Pour les femmes qui n’ont pas eu de suivi à l'hôpital, on demande un dépôt pour les honoraires des médecins d’environ 3500 $, explique-t-elle.

Au total, elle et son conjoint ont finalement reçu une facture de 7000 $ après l’accouchement.

Des fois, je leur verse 150 $, 200 $, 1000 $, ça dépend. [...] Il me reste 1500 $ environ à payer, dit-elle.

Tomber enceinte ici sans assurance maladie, c'est quelque chose de vraiment stressant.

Une citation de Fatoumata (prénom fictif)

Le reportage de Davide Gentile

Des centaines de femmes chaque année

Le cas de Fatoumata n’est pas unique.

Selon une compilation de documents obtenus par Radio-Canada auprès de la moitié des établissements de santé, en 2023, environ 900 migrantes sans assurance ont accouché dans des hôpitaux au Québec, surtout dans la région de Montréal.

Lors de notre passage au Centre de pédiatrie sociale de Saint-Laurent, situé à Montréal, Augustine Messa Taga était sur place pour obtenir un suivi médical en vue de son accouchement prévu dans quelques semaines. Ce service est fourni gratuitement.

Arrivée en juin dernier du Cameroun, cette dernière a appris que la facture totale de l’accouchement à l’hôpital pourrait s’élever à plus de 21 000 $.

C'est pas facile. Bien sûr que c'est stressant, parce que c'est énorme [...] et je n'ai pas encore cet argent, affirme-t-elle.

Le montant inclut une surcharge de 200 % des frais globaux de l'accouchement pour compenser, explique-t-on au ministre de la Santé, les coûts de la composante immobilière non comprise dans le prix de journée.

Une personne dans un bureau.

Gwen Fritiau, intervenante à la Maison des familles de Saint-Laurent.

Photo : Radio-Canada

Comme le fait remarquer l’intervenante Gwen Fritiau de la Maison des familles de Saint-Laurent, j'ai l'impression que c'est toujours une surprise pour elles, dans le sens où on leur a vendu du rêve en leur disant, dans leur pays d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique du Nord, qu'elles n'avaient qu'à aller au Canada, faire une demande d'emploi, une demande de permis de travail et que très facilement elles allaient avoir un permis travail qui va leur offrir une couverture maladie.

En 2024, dans un pays développé comme le Canada, demander à une femme de payer des frais d'accouchement, ce n'est pas normal et c'est même dangereux.

Une citation de Gwen Fritiau, intervenante à la Maison des familles de Saint-Laurent

Le groupe Médecins du monde, qui milite depuis des années pour la gratuité des soins de santé reproductive à toutes les femmes, peu importe leur statut migratoire, partage cette opinion.

La raison pour laquelle on refuse, c’est l’ignorance des données de la science et, d’autre part, des préjugés, des arrière-pensées politiques, où on pense qu’en leur menant la vie dure, on va avoir des bénéfices politiques, mais c’est un mauvais calcul, affirme le Dr Michel Welt, gynécologue obstétricien et membre du conseil d’administration de Médecins du Monde.

Un homme dans un corridor.

Le Dr Michel Welt, gynécologue obstétricien et membre du conseil d’administration de Médecins du Monde.

Photo : Radio-Canada

Responsable médical de l’équipe de périnatalité sociale du Centre de pédiatrie sociale de Saint-Laurent, le Dr Welt constate l'augmentation énorme des travailleurs temporaires, des étudiants étrangers, de toutes ces personnes qui n'ont pas de statut permanent ou garanti, [...] qui n'ont pas la couverture médicale, en particulier pour la grossesse.

En général, les demandeurs d’asile ou les réfugiés sont couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI).

Une solution de 20 millions de dollars

Au ministère de la Santé, on rappelle qu’un comité interministériel examine le dossier depuis l’été 2022.

Les travaux sont en cours pour évaluer quelles solutions mettre de l’avant et permettre aux femmes les plus vulnérables de bénéficier des soins de santé sans frais en lien avec le suivi de leur grossesse et leur accouchement.

Une citation de Noémie Vanheuverzwijn, porte-parole au ministère de la Santé.

Le comité interministériel dispose de quelques scénarios préparés par la RAMQ.

Le scénario le plus généreux permettrait à plus de 2000 femmes d’obtenir gratuitement tout service lié au suivi de grossesse, à l’accouchement et aux soins post-partum, ainsi que les médicaments qui s’y rattachent. Cette option est évaluée à plus de 20 millions de dollars.

À mi-chemin, l’élimination de la surcharge de 200 % permettrait d’alléger le fardeau financier, mais ne règle pas le problème des femmes les plus vulnérables qui évitent de consulter durant la grossesse.

Selon la RAMQ, le statu quo aurait comme avantage, notamment, de limiter le tourisme obstétrique, mais il aurait comme conséquences le risque de maintenir la pression (médiatique et autre) pour faire évoluer ce dossier, [...] le risque de compromettre la santé des femmes en situation de vulnérabilité [...] et ne règle pas le problème des frais d’obstétrique impayés.

Édifice de la RAMQ.

La RAMQ gère, entre autres, l’admissibilité des personnes aux régimes d’assurance maladie et d’assurance médicaments du Québec.

Photo : Radio-Canada

Selon nos informations, les établissements de santé renoncent à des millions de dollars chaque année en raison de migrants au statut précaire incapables de payer les soins de santé.

Plusieurs groupes consultés s'attendaient à une annonce gouvernementale l’automne dernier. Comme le souligne le Dr Michel Welt de Médecins du monde, on souhaite que Québec se décide le plus rapidement possible.

En 2021, Québec adoptait un projet de loi ayant pour objectif principal de rendre admissibles au régime d’assurance maladie et au régime général d’assurance médicaments certains enfants dont les parents ont un statut migratoire précaire.

Des réactions politiques

Au cabinet du ministre Christian Dubé, on rappelle « que notre gouvernement a fait un pas majeur en juin 2021 en rendant admissibles à la RAMQ les enfants nés ou non au Québec, peu importe le statut d’immigration de leurs parents ».

Les travaux se poursuivent en ce moment du côté du ministère et nous allons attendre les conclusions.

Une citation de Le cabinet du ministre de la Santé

Pour le porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, André Fortin, il faut faire mieux que le statu quo en ce moment [...] On a le devoir d'arriver avec une solution rapidement.

Ces femmes se retrouvent avec un stress immense sachant qu'elles vont se retrouver avec des factures monstres à la sortie de l'hôpital avec leur enfant, affirme le député libéral.

Pour le député Vincent Marissal de Québec solidaire, il faut couvrir ces femmes-là parce que c'est une raison humanitaire.

On a régulièrement [au bureau de circonscription] des gens [...] qui ne sont pas couverts, qui se retrouvent avec une facture et qu'on doit intervenir auprès de la RAMQ et, le plus souvent, le ministre va finir par effacer l'ardoise de façon discrétionnaire, affirme-t-il.

Au Parti québécois, le député Joël Arseneau estime que le gouvernement doit continuer le travail et s'assurer qu'une solution puisse être mise en œuvre. À partir du moment où la RAMQ a différentes hypothèses, je pense que le gouvernement doit s'en saisir rapidement, déclare-t-il.

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