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Filer la laine de la toundra

Filer la laine de la toundra

Texte : Mireille Roberge Photographies : Olivia Laperrière-Roy et Mireille Roberge

Publié le 3 novembre 2022

Rachel Guindon avance sur la route des sciences depuis son enfance. Un détour par les sols gelés du Grand Nord lui a fait découvrir une matière plus douce que le cachemire. Les poches pleines de cette laine de bœuf musqué, la jeune biologiste a appris à filer, à teindre, à créer. Et elle transmet aujourd’hui ses connaissances aux Inuit.

La jeune femme remonte une rue du village, son rouet centenaire sous le bras. Rachel doit marcher environ 20 minutes pour se rendre au local de couture. À la fin septembre, les premiers flocons ne devraient pas tarder. Le vrombissement d’un moteur transperce l’air frais du matin. Un quatre-roues s’arrête à sa hauteur.

Au volant du véhicule tout-terrain, Saami Puttayuk offre à Rachel de la conduire. À Quaqtaq, ce n’est jamais un très grand détour. C’est pour ce genre de moment là que je fais ça, lance Rachel, enfourchant sa nouvelle monture. Elle éclate de rire.

Rachel rigole, assise sur un quatre-roues, derrière Monsieur Puttayuk. Elle tient son rouet dans sa main droite.
Un sourire qui en dit long sur le bonheur de Rachel lorsqu’elle a vu passer Saami Puttayuk qui lui a offert de la conduire à l’atelier de couture sur son véhicule tout-terrain. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Depuis cinq ans, la biologiste de la banlieue de Québec vient au Nunavik presque tous les étés. Elle connaît de mieux en mieux les habitudes du Nord québécois. Et depuis mars, elle vient non seulement pour étudier les bœufs musqués, mais aussi pour enseigner aux Inuit comment tirer profit de leur laine.

Au local, tout est prêt depuis la veille : les échantillons de laine, les brosses, les rouets, les fuseaux à filer, les nombreux livres et, surtout, la pièce maîtresse – la peau de bœuf musqué, étendue sur le plancher.

C’est une petite peau, c’est sans doute une femelle, elle vient de Kangiqsujuaq, précise Rachel. C’est Mary, sa complice dans ce projet, qui l’a achetée plus tôt cette semaine.

Il est 9 h. Le café coule dans la cafetière. Des petits sablés ont été déposés sur la table. Avec ses longs doigts délicats, Rachel attache un fil d’amorce sur un des rouets. Elle est prête à accueillir les membres de la communauté de Quaqtaq.

Le programme des trois prochains jours : apprivoiser la laine du bœuf musqué.

Le quiviut se cache sous le poil de garde, plus raide et moins intéressant. C’est un travail assez physique de retirer la matière première. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Le qiviut, si doux et si chaud
Le qiviut, si doux et si chaud

Daisy est la première curieuse à se présenter dans le cadre de porte. Elle dit fièrement : Je mets déjà du qiviut dans mes bottes d’hiver, c’est chaud.

Rapidement, au fil des heures, les résidents entendent parler de la venue de Rachel dans leur village : un message à la radio locale, une publication sur Facebook annonçant les ateliers. La gêne tombe, l’excitation prend le relais.

Assises au sol, les jambes croisées, les deux mains sur la peau de l’animal, une vingtaine d’Inuit, surtout des femmes, viennent brosser la laine au fil des jours.

Une jeune Inuk caresse du bout des doigts le duvet qui se trouve sur le peigne, avec amusement.
Cette jeune Inuk est fascinée par la douceur du qiviut. Durant les trois jours d’ateliers à Quaqtaq, les participantes seront nombreuses à vouloir brosser la peau pendant un long moment.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Avec douceur, Rachel, 28 ans, leur transmet ses connaissances. Dans son cou reposent ses longs cheveux bruns et son tricot en laine de qiviut fait maison.

Il y a le poil de garde qui est la grosse fourrure extérieure. C’est ce qui donne l’allure de jupe hawaïenne au bœuf musqué. Le qiviut, c’est le sous-poil chaud, comme du duvet, c’est très doux et c’est uniquement celui-là qu’on file. Il y a de quatre à six livres de laine par bête, explique-t-elle aux femmes réunies.

L’épaisse toison laineuse du bœuf musqué a la réputation d’être plus douce que le cachemire et plus chaude que la laine de mouton. Les participantes, amusées, manipulent les échantillons de différentes laines, pour comparer. La laine de mouton a une odeur et est huileuse. Le qiviut est presque inodore et agréable au toucher.

Les yeux rivés sur son fuseau, Annie Petaulassie est impatiente; elle voudrait être bonne tout de suite. Elle imagine déjà le bandeau qu’elle va se tricoter. Chez elle, au Nunavut, elle est reconnue comme une spécialiste de la conception des bottes en peau de phoque.

« Apprendre d’une fille de Québec, c’est apprécié. Pour moi, Inuk ou non, l’important, c’est d’apprendre. »

— Une citation de   Annie Petaulassie

Le fuseau a été la première technique utilisée pour filer la laine. Plusieurs écrits indiquent qu’on l’utilisait il y a 8000 ans. Ça vous permet de bien comprendre la technique avant d’utiliser le rouet, leur explique Rachel.

Sarah Aloupa a vu l’événement sur Facebook. On ne sait pas comment utiliser cette laine, et il y a plein de bœufs ici, alors je suis venue voir.

L’atelier est bien rodé. Quaqtaq, ce village d’environ 400 habitants, est la cinquième communauté visitée par Rachel depuis ses débuts comme formatrice, en mars dernier, après Kuujjuaq, Umiujaq, Tasiujaq et Kangiqsujuaq. C’est d’ailleurs à ce dernier endroit que Jessica Arngak a eu un coup de cœur pour l’atelier. Heureux hasard, la retraitée de l’enseignement est de passage à Quaqtaq cette semaine.

Rachel est debout sur un pneu arrière de la camionnette tandis que Mary tire sur la peau pour la sortir du coffre.
Moment cocasse pour Mary Saunders, la conseillère pédagogique pour le programme Ilurqusitigut, et Rachel, qui embarquent la peau de bœuf musqué dans la camionnette. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

En fin de journée, Rachel décide donc d’aller rendre visite à Jessica, qui loge chez une amie dans le village. Pour la surprendre, elle apporte la peau de bœuf musqué! Allez hop, dans le pick-up!

Accroupis dans le salon, entre la télévision trop forte et les collations d’après-midi, Jessica, son amie et ses enfants se retrouvent nombreux à brosser, et surtout, à être émerveillés devant cette imposante fourrure.

Jessica est fière d’utiliser les ressources du Nunavik. Je vais prendre cette laine pour me faire des bas chauds ou des mitaines pour la motoneige, car je gèle toujours des doigts.

Cette femme inuk aime travailler les textiles. Lorsque Jean Charest était premier ministre du Québec, elle avait eu le mandat de lui confectionner un parka. On sent la fierté dans sa voix. Il m’avait demandé comment j’avais fait pour savoir quelle grandeur il portait. Je lui avais dit que je l’avais regardé à la télé! Cette anecdote la fait rigoler.

Pourrait-elle offrir des cours de filage aux Inuit? Je suis trop lente, constate-t-elle en apprenant tranquillement à filer la laine.

Madame Arngak tient un amas de duvet de boeuf dans ses mains, assis à terre dans son salon à côté de Rachel.
Assise dans le salon d’une amie à Quaqtaq, sous le regard amusé de Rachel, Jessica Arngak, aime son expérience avec ce type de matière. L’amoureuse des textiles a suivi l’atelier dans son village, à Kangiqsujuaq. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Quand Rachel est de retour dans la salle de couture, la noirceur à l’extérieur est déjà bien installée.

Après quelques heures de pratique, les Inuit quittent le local avec leur grand sac Ziploc rempli de qiviut, parfois brut, quelquefois filé et souvent cardé. Cette machine qu’on appelle cardeuse permet de peigner la laine, qui devient plus facile à filer par la suite ou encore peut être utilisée comme isolant. Une bonne doublure de manteau!

Ce soir, faire du cardage a aussi été prétexte à confidences.

Une jeune Inuk de 14 ans est venue à pied après l’école. Il tombait des cordes. Elle voulait à tout prix apprendre à filer avec le rouet. Elle a passé beaucoup de temps aux côtés de Rachel. C’est là qu’elle lui a confié avoir une relation difficile avec son père. On me parle de suicide, de menstruations, de cancer, de moments pas faciles, précise celle qui tend l’oreille avec empathie et respect.

Faire voir son visage humain, c’est une facette qui plaît beaucoup à la scientifique.

Un des nombreux rouets antiques que possède Rachel, tous achetés sur Internet. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Donner un sens à sa recherche
Donner un sens à sa recherche

C’est sûr que c’est drôle comme passe-temps, ce n’est pas Netflix, lance Rachel en riant.

Dans la cour arrière de la maison familiale à L’Ange-Gardien, sur la Côte-de-Beaupré, elle est assise à son rouet centenaire. Des machines à filer la laine comme celle-là, elle en a acheté au moins cinq dans la dernière année, toutes sur Marketplace. J’ai dû dépenser 1000 $ en équipement de toutes sortes.

Cet après-midi de septembre, elle porte un chandail de laine tricoté par sa grand-mère. 

Ma mère fait du tricot, moi je suis portée à coudre, donc Rachel voyait qu’il y avait, dans la famille, des habitudes de faire des choses de nos mains, raconte sa mère, Marlène Cadorette.

Sur une petite table de patio, un chaudron de cuisine est rempli d’un liquide brunâtre. Dans l’eau de trempage baigne du qiviut rapporté du Nunavik.

J’ai utilisé les pelures d’oignons jaunes. J’ai lu qu’elles ont des propriétés tinctoriales – ça veut dire qu’elles sont colorantes, explique Rachel en consultant un des nombreux livres posés sur la table, tous sortis de la bibliothèque. Je suis la seule à les emprunter, dit-elle à la blague. Il y a même un livre sur les teintures inuit.

Gantée, elle sort son qiviut du chaudron et le tord bien fort. Avec le qiviut, le résultat est impressionnant. Celui qui avait été récolté dans la toundra et qui avait blanchi au soleil sort d’un beau jaune. Celui pris sur le bœuf musqué qui a été chassé est plus foncé, c’est normal.

L’oignon, ça va intéresser les Inuit pour la teinture de leur laine, car c’est facile à trouver, ce n’est pas cher et ça permet de réutiliser les déchets, ajoute Rachel.

Sur la table, un gros bouquet de myrique baumier rapporté de la Gaspésie pendant ses vacances. Car, bien sûr, elle veut aussi l’expérimenter pour teindre la laine de bœuf musqué. Et aussi, elle désire faire des tests avec des plantes nordiques québécoises comme le bouleau glanduleux, le saule ou le lichen.

Imagine, on pourrait teindre en mauve! s’exclame-t-elle.

Cette phrase remplie d’enthousiasme fait décrocher un sourire à sa mère, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Rachel m’impressionne beaucoup, ajoute Marlène.

Madame Cadorette tient dans ses bras leur chat et sourie vers sa fille.
Marlène Cadorette, la mère de Rachel, observe sa fille filer la laine de qiviut. Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy

Selon elle, l’analogie est évidente avec Jean Malaurie, ce scientifique français spécialisé dans les expéditions polaires dans les années 40 et 50, qui a tissé des liens serrés avec les Inuit. Rachel n'est pas une exception comme scientifique lorsqu'elle joint différents savoirs et les communique à ceux qui peuvent en tirer le meilleur, poursuit-elle, avant d’ajouter : Elle a un esprit scientifique, mais elle n’a pas écarté cet esprit artistique.

De 50 à 7000 bœufs

Rachel a eu la piqûre pour le Nord et ses écosystèmes pendant ses études au baccalauréat en biologie à l’Université Laval. Dans le cadre de sa maîtrise, elle analyse l’impact du bœuf musqué sur la végétation du Nunavik (et bonne nouvelle, à ce stade-ci des recherches, rien ne laisse croire à des conséquences négatives).

En 1967, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a mis sur pied, à Kuujjuaq, une ferme d’élevage de bœufs musqués, une espèce qui était inexistante au Nunavik. L’objectif du projet était d’offrir aux Inuit la possibilité d’accroître leurs ressources et d’amorcer quelques industries, dont le travail du qiviut. Toutefois, le projet n’a pas perduré. Les Inuit n’ont pas perpétué cette pratique. Pourtant, dans certains territoires nordiques comme le Groenland, le Nunavut et l’Alaska, les Inuit travaillent depuis longtemps, et encore aujourd’hui, avec le qiviut.

Faute de succès, au Nunavik, la cinquantaine de bœufs a donc été relâchée, et les bêtes ont continué de se reproduire. Aujourd’hui, on en compte environ 7000. Contrairement aux caribous, ils se déplacent lentement, mais ils ont quand même fait du chemin. Ils sont maintenant nombreux le long de la baie d’Hudson.

Pendant que je faisais mon échantillonnage de végétation pour mes travaux de recherche, je voyais la laine dans la toundra, et je me suis dit : "Il faut faire quelque chose!"

C’est donc les poches pleines de laine de bœuf musqué que Rachel est partie pour la Norvège, en septembre 2019, pour un stage d’études international. Au printemps 2020, pandémie oblige, elle s’est retrouvée confinée dans les montagnes scandinaves avec une amie biologiste norvégienne. C’est là qu’elle a expérimenté le filage pour la première fois.

Un intérêt venait de naître. Sans le savoir, l’amie norvégienne transférait à Rachel un savoir-faire qui allait devenir son prochain projet en sol québécois. Ce serait sa façon à elle de tisser des liens avec les Inuit.

Deux participantes se familiarisent avec les différents types de laine, dont celle du mouton, plus huileuse que le qiviut. Lors de chaque atelier, Rachel transmet de nombreuses informations sur la présence du boeuf musqué sur le territoire des Inuit. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Porter ce savoir là où il y a un accueil
Porter ce savoir là où il y a un accueil

Quand j’ai rencontré Mary pour la première fois, on avait les deux mains dans la peau de bœuf musqué ensanglantée. C’était au premier atelier, en mars dernier. On riait tellement! C’est assez unique comme situation, raconte Rachel en rigolant.

Rachel et Mary ont pourtant l’air de se connaître depuis longtemps. C’est facile de travailler avec Rachel, elle ne se plaint jamais. On a bâti une relation amicale, explique la résidente de Kuujjuaq.

La jeune femme de 29 ans a le sourire facile. C’est évident qu’elle se plaît à accompagner Rachel pour assurer le bon déroulement de ses ateliers. C’est d’ailleurs elle qui l’a recrutée, l’hiver dernier, pour qu’elle rejoigne les rangs des formateurs et formatrices.

J’aime beaucoup voir ma communauté apprendre de nouvelles choses. Je trouve passionnant d’avoir l’opportunité de leur transmettre des connaissances, explique Mary qui coordonne une variété d’ateliers.

Portrait des deux femmes, couchés sur une peau de boeuf.
Une belle relation amicale unit Rachel, la formatrice et Mary, la coordonnatrice des ateliers. Les deux femmes s’entraident lorsqu’elles ont la chance de se côtoyer dans les différentes communautés du Nunavik.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Mary Saunders a décidé de faire de la culture inuit son projet de carrière. Il y a cinq ans, cette mère de famille monoparentale quittait son Kuujjuaq natal pour entamer une formation collégiale d’une année à Montréal, Nunavik Sivunitsavut, qui permet d'acquérir une connaissance approfondie du Nunavik. Les cours portent autant sur l’histoire et la politique que sur les sports, la culture ou la langue.

Diplôme en poche, elle a obtenu le poste de conseillère pédagogique pour le programme Ilurqusitigut de la Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire du Nunavik. Depuis 2018, des ateliers sont offerts dans les 14 communautés inuit afin de faire découvrir ou d’approfondir des techniques et des savoir-faire, comme tanner la peau de poisson, fabriquer un filet à pêche ou teindre et perler une fourrure de caribou.

Tout ça, c’est impossible sans le programme de Mary. On réveille quelque chose chez les Inuit, précise Rachel.

Rachel et Mary sont agenouillées dans la toundra et cherchent des bleuets.
Rachel et Mary ne peuvent résister à la tentation de cueillir des bleuets lors d’une balade dans la toundra, à Quaqtaq, au Nunavik. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Les formatrices et les formateurs viennent du Québec, parfois des Maritimes, et ils sont – précise Mary – tous les bienvenus au Nunavik. Leur but, c’est de fournir les outils aux Inuit pour qu’ils puissent à leur tour former leur communauté.

Quand je viens ici pour des travaux de recherche en bio, ça va vite, c’est difficile de tisser des liens avec les communautés, poursuit Rachel. Là, j’ai le temps. Les Inuit manquent d’information sur le bœuf musqué, ils croient souvent qu’il fait fuir le caribou. Pour le moment, on ne pense pas qu’il y a de la compétition entre les deux espèces quant aux ressources ou à l’habitat.

Mary et Rachel échangent un regard complice. Rachel ouvre son carnet de notes. C’est le moment d’apprendre un nouveau mot en inuktitut : nasaq, qui signifie chapeau. Elle est douée pour les langues – elle parle déjà très bien le norvégien.

Les ateliers se déroulent toujours en anglais. Entre eux, les Inuit échangent aussi quelques mots et quelques blagues dans leur langue maternelle. C’est le cas du premier homme à venir assister aux ateliers de Rachel, Saami Puttayuk – le conducteur du quatre-roues qui lui avait offert un transport plus tôt durant la semaine.

Il est de retour, attentif et patient.

Portrait de Saami, un homme à la fin trentaine aux cheveux longs.
Saami Puttayuk a pris l’initiative d’emmener ses élèves de l’école de Quataq aux ateliers de Rachel sur le filage du qiviut. Il est aussi très intéressé par l’apprentissage du rouet.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Saami enseigne à Quaqtaq. Le rouet l’intrigue. Je suis un chasseur et j’ai envie d’apprendre autre chose, explique-t-il.

Coordonner la pédale du rouet, lâcher le brin, tenir le brin, ce n’est pas simple. Saami parle peu, mais observe beaucoup. Je ne gaspillerai plus mes peaux, je ne les laisserai plus dans le land, je vais les brosser!, s’enthousiasme-t-il.

Pas de doute, Rachel réveille quelque chose.

L’immensité du territoire au nord du Québec, aux abords de la Baie d’Ungava. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Tirer profit du territoire
Tirer profit du territoire

- Bonjour, on m’a dit que vous cherchiez un transport pour aller dans le land? Je suis disponible!

Willie Kaukai arrive devant le local de couture de Quaqtaq à bord de son pick-up. Sa chemise à carreaux rouge et noir contraste avec le temps gris. Sa femme est probablement partie dans la toundra cueillir des petits fruits qu’elle vendra à la communauté, un classique à cette période de l’année.

Cet après-midi, ce fier Inuk, qui vit de la pêche et de la chasse, est heureux d’aller faire une virée vers l’est, au bord de l’eau, à une trentaine de minutes de Quaqtaq. L’objectif : tenter de voir des bœufs musqués.

Depuis 50 ans maintenant, on le chasse du côté de la baie d’Ungava, quoique sa chair ne fasse pas l’unanimité. Certains l’aiment, alors que d’autres la détestent.

Willie Kaukai se tient debout, devant sa camionnette, stationnée au milieu de nul part dans la toundra.
Willie Kaukai vit de la chasse et de la pêche au Nunavik. Selon lui, le meilleur endroit pour voir beaucoup de bœufs musqués c’est l’Île Diana située dans la baie Diana, au nord-est de la péninsule d'Ungava.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Plus tôt durant la semaine, Rachel et Mary ont aussi tenté de voir l’animal se balader dans la toundra. En s’éloignant sur la route, dans un camion qui vibrait au rythme des Black Eyed Peas, la recherche aura été vaine. Pas de chance non plus pour Willie, qui n’aura pas vu la bête tant convoitée, même au bord des milieux humides où cet animal aime passer du bon temps.

Pourtant, ils sont nombreux à rôder autour. Les Inuit d’au moins sept ou huit communautés du Nunavik en voient régulièrement.

C’est un animal sauvage, difficile de prévoir où il se cache, précise Rachel en guise de consolation. C’est d’ailleurs ce qu’elle explique aux gens qui participent aux ateliers. Avec son ordinateur sur les genoux, elle présente tout un bagage d’information sur l’animal et la valeur de sa laine.

Rachel apporte toujours deux rouets dans le nord pour enseigner les techniques de filage aux communautés du Nunavik.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

S’inspirer des tricoteuses de l’Alaska
S’inspirer des tricoteuses de l’Alaska

Les participantes et participants sont souvent surpris d’apprendre que des industries au Nunavut et au Groenland vendent des produits fabriqués en qiviut, comme des tuques, des châles ou des chandails, pour plusieurs centaines de dollars. Une boule de ce sous-poil si précieux, non coloré et non filé, peut se vendre autour de 25 $ pour 10 grammes.

Rachel prend aussi le temps de partager sa vision. Son rêve, c’est de voir naître une coopérative au Nunavik, inspirée de celle établie en Alaska depuis 1969. Cette coopérative, Oomingmak (bœuf musqué en inuktitut), appartient à plus de 250 femmes autochtones. Les membres tricoteuses ont accès à du qiviut, elles sont payées et elles reçoivent des dividendes sur les ventes annuelles.

Je pense qu’il y aura un engouement, j’ai confiance qu’on peut faire ça éventuellement au Nunavik, dit-elle. Un peu comme si on revenait au projet initial qui n’avait pas fonctionné. Avec l’animal qui est maintenant en liberté, les chasseurs pourraient rapporter leurs peaux et ainsi donner un élan au projet.

Rachel tient un morceau de laine cardé dans le cadre de son atelier.
Une fois cardé, le qiviut devient plus facile à filer. Il peut aussi être utilisé pour isoler des vêtements. Si la laine est trouvée dans la toundra, elle doit toutefois être nettoyée avant d’être travaillée. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Les gens réunis dans l’atelier le constatent; Rachel aime le Nord. Il suffit de consulter le curriculum vitae de la scientifique pour le confirmer. Une page entière est consacrée aux nombreux prix et distinctions reçus au cours des dernières années; plusieurs directement reliés à ses expériences dans les régions nordiques. Le plus récent remonte à octobre dernier, alors qu’elle remportait la grande finale internationale du concours de vulgarisation scientifique Mon projet nordique, qui se déroulait en Islande.

Son amour des gens du Nunavik est inconditionnel. Et surtout, empreint de respect.

Humble, Rachel ne souhaite que leur donner les outils pour qu'ils puissent rayonner à leur façon. Pour la jeune femme, c’est essentiel, il faut laisser le leadership aux Inuit.

Le village de Quaqtaq lors d’un coucher de soleil, un soir de septembre.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

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